Faire 12 000 km sur les routes du pays, ça en fait du temps pour penser, réfléchir, imaginer. Les yeux sur la route, les mains sur le volant, une trame musicale à l’oreille et mon esprit en cavale: voilà qui résume bien l’état de veille qu’impose la conduite sur notre célèbre route Transcanadienne 1. L’Ontario, à elle seule, se traverse en 2 000 km ou en plus de 21 heures de route sans s’arrêter. Avant d’atteindre une ville, nos yeux collectionnent d’innombrables essences de conifères, de lacs isolés, d’animaux sauvages, d’envolées d’oiseaux et de roches de toutes tailles. La nature de l’Ouest de l’ Ontario est verte, bleue, blanche, grise et beige. C’est beau. Pur et brut. Mais c’est loooong… Mes pensées en ont donc profité pour joyeusement vagabonder.
J’ai d’ailleurs longuement réfléchi aux accents de toutes les personnes, jeunes et moins jeunes, bilingues, francophones ou francophiles, avec qui j’ai eu le bonheur d’échanger pendant la Grande virée. C’est coloré un accent. Ça chante et ça enchante. Je constate que je suis plus que jamais sous le charme des modulations infinies de la langue française.
Sur tout le trajet, j’ai entendu des jeunes qui parlent le français comme on apprend à jouer d’un instrument. En y mettant du temps, de la pratique et de la créativité afin de la maîtriser. D’autres encore discutent en français avec aplomb, plaisir et liberté. Comme si cette langue était un cadeau précieux à soigner et à porter fièrement. J’en ai entendu d’autres qui chuchotent le français avec réserve, intimité et timidité comme s’ils cherchaient à prendre doucement leur place dans le vaste univers de leur langue seconde. Puis d’autres jeunes qui ont inventé une langue originale en fusionnant le français et l’anglais pour en faire un code secret qui leur ouvrira l’accès vers la fonction bilingue de leur quotidien. D’autres aussi qui sautent sur chaque occasion de parler français car ils en sont profondément amoureux et voient chaque locuteur francophone comme un ami.
Comment ne pas être littéralement séduit par toutes ces approches qui forment l’étoffe des langues officielles du pays? C’est, à mon humble avis, une source d’inspiration sans borne pour chacun de nous. Je regrette seulement que de nombreux francophiles rencontrés dans les dernières semaines aient l’impression que leur français n’est pas assez bon, que leur vocabulaire n’est pas assez riche, que leur accent est trop prononcé, qu’ils cherchent trop leurs mots, que leur vitesse d’élocution est trop longue, qu’ils ne parlent pas assez bien pour répondre à mes questions…
Si seulement ils savaient à quel point je les admire et les estiment. Que jamais je n’oserais les juger. Que je suis à l’écoute et à la recherche de leur accent fleuri. Que de les entendre me rend heureuse et confiante en l’avenir. Que leurs efforts pour parler en français sont autant de marques de respect envers moi. Qu’ils sont de véritables modèles pour tous les canadiens. Qu’ils sont, ni plus, ni moins, notre seul espoir de maintien d’un bilinguisme durable. Que je collectionne précieusement les effets de leurs conversations en français depuis la Colombie-Britannique jusqu’ici, en Ontario, car ils sont le moteur de cette Grande virée et de la croissance des programmes en immersion française.
Alors à vous qui apprenez ou parlez le français comme langue additionnelle, je dis merci! Sans vous, notre monde serait moins riche, moins coloré et moins inspirant. Osez parler! Vous nous faites un bien fou! Partout. Même sur les longs chemins qui traversent notre pays d’ouest en est…
Tiens. J’arrive déjà à Ottawa. Tout va plus loin et plus vite en votre compagnie!
À bientôt!
Marie-France Gaumont
27 octobre 2021